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Les lépidoptères dans les Alpes-Maritimes

Noctuidae Noctuinae

Gortyna borelii Pierret

La Noctuelle des Peucédans

Nourriture de la chenille : Peucedanum gallicum, P. officinale


Références : Id TAXREF : n°249356 / Guide Robineau (2007) : n°1294

Gortyna borelii Pierret adulte - ©Daniel Morel
Lucéram (Alpes-Maritimes), 19 octobre 2004. Photo Daniel Morel

Etat carte : à jour

A propos des cartes


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Répartition française : Centre-ouest, Alsace, Pyrénées-orientales, Alpes maritimes et Corse.

Commentaires : L'espèce est protégée en France depuis 2007. Par ailleurs, des études génétiques en cours tendraient à scinder ce taxon en deux espèces distinctes...

Bibliographie espèce :

Pour en savoir plus...

Comment le reconnaître ?

Gortyna borelii (en haut) ressemble un peu aux deux autres espèces françaises du genre :
- Gortyna flavago (en bas)
- Gortyna xanthenes (au milieu)

De façon générale, elle se distingue des deux autres espèces par sa taille plus grande (envergure 48 - 68 mm contre 34 - 42 mm pour G. flavago et 38 - 52 mm pour G. xanthenes.). Sa coupe d'ailes est plus allongée . Ses couleurs fondamentales tendent sur le roux et la couleur brique (jaunâtre chez G. flavago, ochre chez G. xanthenes). Enfin, chez G. borelii, les trois taches des antérieures ressortent toujours nettement sur le fond, soulignées de blanc (Ces taches sont souvent plus ou moins indistinctes ou teintées de jaunâtre ou d'ochracé chez les deux autres espèces). D’autres espèces proches vivent en Europe du Sud, mais elles ne volent pas en France.

Les trois espèces sont susceptibles de se rencontrer aux mêmes époques (septembre-octobre), mais leur répartition n’est pas identique. Dans quelques rares stations (Alpes-Maritimes), les trois espèces peuvent cohabiter. Toutefois, de façon générale, c’est Gortyna flavago qui est de loin l’espèce la plus répandue des trois. Inversement, il n’existe pas vraiment de localité où l’on puisse assurer que G. borelii est la seule espèce du genre.

La femelle (en bas) se distingue du mâle (en haut), par une taille souvent supérieure, des antennes plus filiformes et un abdomen plus volumineux. Ses ailes postérieures présentent souvent un assombrissement submarginal.

On entend souvent parler de la sous-espèce lunata Freyer. Ce taxon a souvent servi à désigner les populations de plus grande taille, de couleur plus sombre, par opposition à la forme nominale du Bassin parisien, plus petite et souvent plus claire. Au début du 19ème siècle, les populations du bassin parisien (borelii) étaient même considérées comme appartenant à une espèce distincte de celles d’Europe centrale (connues alors sous le nom de leucographa). Les deux taxa n’ont été réunis sous une même entité spécifique qu’après une étude attentive des genitalia (Le Cerf, 1926). C’est ainsi que borelii devint une sous-espèce de leucographa, puis, ce dernier nom ayant été invalidé, s’est retrouvé désigner l’espèce, tandis que les individus précédemment dénommés leucographa devenaient des G. borelii lunata

En réalité, ce feuilleton nomenclatural semble bien vain, car, en fin de compte la distinction entre deux sous-espèces ne semble pas justifiée. Nous verrons que les populations de l’espèce se sont adaptées, selon les endroits, à des milieux et des plantes différents, ce qui semble avoir des impacts sur l’aspect extérieur des papillons. A tel point que Maurice Sand prétendait qu’en élevant des chenilles issues d’une femelle d’une des deux formes, on obtenait des imagos de l’autre forme…

De façon générale, l’espèce est assez variable, aussi bien en taille qu’en coloris. Dans les Alpes-Maritimes, par exemple, l’espèce est souvent plus grande, plus sombre et moins contrastée. Près de Paris, elle est souvent plus petite et plus claire. En Corse, l'unique exemplaire connu est relativement clair, avec des dessins peu marqués. Enfin, lorsqu'on élève l'espèce avec des carottes, on obtient souvent des spécimens fortement dessinés, presque enluminés.

Pour illustrer cette variabilité, la planche suivante montre, de haut en bas, à l'échelle, un spécimen des Alpes-Maritimes, un spécimen du Bassin parisien, et un spécimen issu d'un élevage sur carotte.

Variabilité de Gortyna borelii (Photos Claude Tautel et Philippe Mothiron)

Gortyna borelii- Alpes-Maritimes, Bassin parisien, élevage.
Où, quand, comment le rencontrer ?

Gortyna borelii est une espèce extrêmement localisée en Europe. Elle est d’ailleurs inscrite, à juste titre, sur la liste des espèces protégées au niveau européen depuis 2003. Elle a connu un fort déclin dans les zones tempérées d’Europe de l’Ouest au cours des dernières années. C’est encore en Hongrie que le nombre de populations connues et florissantes est actuellement le plus élevé.

En France, l’espèce (nommée leucographa) a été tout d’abord signalée dans les forêts humides de la région Centre, puis a été découverte dans les massifs forestiers de la région parisienne (sous le nom de borelii). Au cours du 20ème siècle, les populations connues ont peu à peu décliné, tandis que de nouvelles stations étaient publiées, correspondant à de milieux très différents (restanques méditerranéennes), dans les Alpes-Maritimes, puis tout récemment en Corse.

A ce jour, c’est sans doute dans les Alpes-Maritimes, à moyenne altitude, qu’il est le plus envisageable de rencontrer cette Noctuelle.

Biotope dans les Alpes-Maritimes :

Gortyna borelii- biotope dans les Alpes-Maritimes.

Biotope en Corse :

Gortyna borelii- biotope en Corse.

Le papillon vole de mi-septembre à fin octobre, mais il ne semble pas fortement attiré par les lumières. Il est aussi possible de l’attirer à la miellée. En tout cas, la plupart des localités ont été découvertes, non pas à partir de la capture des imagos, mais à partir des traces laissées par les chenilles. C’est là qu’il est nécessaire de faire un peu de botanique.

En effet, chercher Gortyna borelii, c’est tout d’abord rechercher ses plantes-hôtes. En Europe, sa plante-hôte principale est le Peucédan véritable (Peucedanum officinale), une ombellifère (Apiaceae) de grande taille (parfois plus de 2 mètres !), assez localisée. Cette espèce peut se trouver dans deux types de milieux : prairies humides (cas du Centre de la France) ou coteaux secs (cas des Alpes-Maritimes). Dans le bassin parisien, où P. officinale n’existe pas, l’espèce vit aux dépends d’un Peucédan beaucoup plus grêle, P. gallicum. Cette Ombellifère se rencontre uniquement dans les prairies forestières mésophiles à humides, souvent dans des fossés ou des ornières. Enfin, en Corse, la chenille consomme l’ombellifère endémique Peucedanum paniculatum, un des seuls Peucédans recensés sur l’île, très voisin de P. officinale, et plus connu pour être une des plantes-hôtes de Papilio hospiton, un autre Lépidoptère protégé.

Le Peucédan véritable (photos prises en octobre dans les Alpes-Maritimes)

Peucedanum officinale
Peucedanum officinale
Peucedanum officinale

Le Peucédan paniculé (photos prises en juillet en Corse)

Peucedanum paniculatum

De façon générale, il faut rechercher la Noctuelle là où prospèrent de belles populations de plantes-hôtes. Il faut alors procéder à l’examen systématique des plantes, en examinant en priorité les pieds souffreteux. En effet, la chenille est endophyte et s'attaque aux tiges puis à la racine de la plante.

Si la larve est difficile à voir, il n’en est pas de même de ses excréments qui sont évacués à l'air libre. Les excréments des jeunes chenilles sont rejetés à l'aisselle des rameaux desséchés. Ceux des chenilles plus âgées sont au ras du sol, formant de petits amas blanchâtres, bien visibles compte-tenu de la taille de la chenille qui les produit (près de 10 centimètres à terme). La chenille étant à terme vers fin juillet, c’est en juin-juillet (selon les années et les localités) que ces indices sont à rechercher. Cela dit, une fois la présence de la chenille avérée, il n’est pas facile d’accéder à cette dernière. Souvent la racine a déjà été désertée, ou bien la chenille est dans une loge profonde et peu accessible. En tout cas, on pourra être sûr que l’espèce est présente.

Dégâts faits par une jeune chenille dans les parties aériennes d'un Peucédan paniculé (photo prise en juillet en Corse):

Rejets jeune chenille

Rejets en "granulés" caractéristiques au pied de la plante (photo prise en juillet en Corse):

Rejets chenille à terme

Chenille presque à terme dans la racine d'une plante desséchée (photo prise en juillet en Corse):

Chenille presque à terme

Ah oui, un détail très important : les Peucédans sont des plantes dont le suc est phototoxique . Au contact de la peau, le suc agit exactement à l'inverse d'une crème solaire, en enlevant toute protection à l'épiderme. Conséquence : dans les jours qui suivent, les tissus entrés en contact, s'ils ont été exposés au soleil, se couvrent de plaques rouges qui sont de véritables brûlures, évoluant généralement vers des cloques. Après cicatrisation, une hyperpigmentation brune peut subsister plusieurs mois. Authentique, votre serviteur a testé pour vous (et vous fera grâce des photos pour cette fois). Il est donc fortement recommandé, lorsqu'on recherche les traces de la chenille, de porter des manches longues ou des gants (succès garanti par 35 °C) et, en cas de contact accidentel du suc avec la peau, de laver la zone concernée immédiatement et d'éviter par la suite toute exposition de celle-ci au soleil.

Premiers stades

Première surprise, l’œuf ne se trouve pas (ou très rarement) sur la plante-hôte de la chenille ! La femelle pond ses œufs par paquets linéaires sur des tiges de graminées, dissimulés sous une feuille qu’elle recolle par-dessus au fur et à mesure de la ponte. Du reste, le réflexe de ponte ne se déclenche en élevage que si on lui fournit de tels supports. Une fois les œufs pondus, il est quasiment impossible de les trouver si on ne sait pas où les chercher. Ils sont d’ailleurs de petite taille, si on les compare à celle de la pondeuse.

Les œufs passeront l’hiver ainsi à l’abri. Sans doute auraient-ils été moins bien protégés s’ils avaient dû rester collés sur la plante-hôte ? En contrepartie, la chenille devra, au printemps, migrer vers un plant de Peucédan pour effectuer son premier repas… Autant dire qu’elle n’a pas intérêt à partir du mauvais côté !

Les anciens auteurs (Sand, Dumont) mentionnent que la chenille éclot à l’automne et hiberne au premier stade. Ce n’est pas ce qui a été observé par les auteurs contemporains. Il paraît d’ailleurs logique que les œufs n’éclosent pas immédiatement, car sinon on ne voit pas bien l’intérêt de l’espèce à ne pas pondre directement sur la plante nourricière. Du reste il semble qu’aucun de ces anciens auteurs n’ait observé la ponte, car tous supposent qu’elle a lieu sur le Peucédan.

Au printemps donc, la jeune chenille gagne les jeunes pousses d’un Peucédan voisin et pénètre dans la partie aérienne de la tige. Puis au fur et à mesure de sa croissance elle va descendre dans la racine où elle fore des galeries de plus en plus larges, jusqu’à évider presque complètement le tubercule. Cela peut l’amener à s’enfoncer jusqu’à une quarantaine de centimètres de profondeur. Selon la quantité de nourriture offerte par la plante nourricière (de ce point de vue, les P. gallicum sont beaucoup moins copieux !), la chenille devra changer de plant un certain nombre de fois. Cette migration s’effectue à la surface du sol, généralement en plein jour (Dumont, 1926). La chenille rampe prestement pour limiter la durée de ces périples au cours desquels elle est plus vulnérable. On comprend donc qu’une forte densité de plantes est nécessaire pour garantir la pérennité des populations de la Noctuelle. On comprend également que les chenilles du Bassin parisien (type borelii) donnent des imagos plus petits, car, leur plante étant plus menue, elles doivent changer plus souvent de pied et donc doivent faire face à une dépense énergétique supérieure pour une même quantité de nourriture absorbée.

La chenille à terme est annelée de gris-clair et de gris foncé, avec une capsule céphalique rougeâtre caractéristique. Son segment anal est fortement sclérifié. Elle est très vive et réagit fortement au toucher.

Elle se nymphose dans une loge souterraine de la racine, préalablement enduite de soie intérieurement. Cette nymphose a généralement lieu en juin-juillet.

En élevage (attention : autorisation ministérielle désormais requise !), la chenille accepte des carottes. Il est conseillé d’installer les jeunes chenilles directement dans une cavité aménagée dans la carotte, car il semble qu’elles aient du mal à y pénétrer spontanément. Les imagos obtenus de la sorte sont généralement plus foncés et plus unis. Divers auteurs ont mentionné la difficulté d’obtenir des accouplements en captivité.

Est-il menacé ?

La Noctuelle du Peucédan est un de nos Lépidoptères les plus lourdement menacés d’extinction, surtout dans les milieux humides du Centre et du Bassin parisien.

En région parisienne par exemple, Dumont (1926) citait l’espèce de presque toutes les forêts d’Ile-de-France. A ce jour, la plante a disparu de certains massifs (Saint-Germain-en-Laye), dans d’autres même si la plante se maintient nous n’y avons pas retrouvé le papillon. Nous avons finalement retrouvé la Noctuelle en 2000 à Rambouillet (Yvelines), mais les recherches complémentaires semblent indiquer une densité de population très faible.

L’espèce est en effet inféodée à des milieux prairiaux qui sont globalement en régression, menacés par l’urbanisation et l’abandon des pratiques agropastorales extensives. De plus, divers usages tendent à faire disparaître la plante-hôte : d’abord le drainage, puis l’arrachage par les agriculteurs auprès desquels elle a mauvaise réputation : non consommée par le bétail, elle empoisonnerait les animaux domestiques. Par ailleurs, un fauchage intégral et intempestif des prairies en fin de saison est fatal à l’espèce, les œufs étant ainsi détruits ou emmenés loin de la future plante-hôte.

Enfin Ebert (1997) mentionne que les chenilles constituent un mets très estimé par les taupes. Tout acte d’aménagement favorisant ces dernières se ferait donc au détriment de la Noctuelle.

La sauvegarde de l’espèce passe donc par celle des milieux prairiaux humides, la conservation de populations denses de Peucédans, et l’adoption d’un mode de gestion évitant absolument un fauchage intégral en fin de saison.

En revanche, dans les Alpes-Maritimes et en Corse, les populations de l’espèce semblent stables, voire en expansion. La plante-hôte semble favorisée par les incendies. Actuellement l’espèce, quoique localisée, n'y semble pas menacée.